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Si j’étais ton miroir…

SI J’ÉTAIS TON MIROIR…

 

 

Le projet porté par Elodie Lefebvre, « Si j’étais ton miroir… », est arrivé dans le service de
soins palliatifs de Givors en octobre 2019. De manière instinctive, l’idée de mettre en vie
au travers du corps de l’autre, et au départ de danseurs professionnels, ce qu’il reste
d’envie, et ce qui fait vie dans chacun de nos patients semblait une évidence dans le
cadre des valeurs revendiquées par le service en particulier, et les soins palliatifs en
général. Qu’est-ce qui fait encore vie en nous, dans la maladie, la défaillance d’un corps
que parfois on ne maîtrise plus ? C’est bien la question centrale des soins palliatifs, et
l’axe central apporté dans la prise en soins de chaque personne.
La matérialisation du mouvement, faire apparaître ne serait-ce que la possibilité de ce
mouvement, émanant du plus profond de l’intime de chacun, s’apparente à une stratégie
audacieuse intellectuellement. Loin de la première idée, qui aurait été peut-être de
rejeter de principe ce mouvement par un corps qui ne peut plus l’exercer, le projet a bien
au contraire fait naître un immense intérêt en chaque patient de l’unité qu’Elodie
Lefebvre a pu rencontrer. Comme une double image : celle où la personne se voit
importante puisqu’on lui accorde sa propre importance, mais aussi celle où ce qu’elle a à
exprimer compte pour les autres et l’extérieur, lui permettant alors de renaître au
monde.
Personnellement, je ne pensais pas que le projet recevrait un accueil aussi chaleureux et
unanime de la part de tous les patients ; cela a pourtant été le cas. Certains ont répondu :
« Votre proposition est intéressante, vraiment. Je vous ai exprimé toutes mes envies,
mais dans le stade actuel de ma maladie, je ne souhaite pas aller plus loin… ». Même chez
ces personnes, la proposition en elle-même du projet a apporté un sentiment de mieux
être, et de considération. Nous avons pu constater une transformation des relations des
patients avec nous autres les soignants, au décours de ces échanges… L’impression d’une
cicatrisation dans une image du soi au départ très dégradée.
Plus stupéfiant encore… Parmi nos patients, certains n’avaient jamais rien livré de leur
intimité ni de leurs rêves, ni aux médecins, ni aux soignants, ni aux psychologues…
parfois et très souvent ni même à leurs proches. L’importance qu’a accordée Elodie à la
personne et à ses désirs profonds lors des entretiens a aidé à ouvrir des portes, que la
personne ne voulait pas, ou ne se sentait pas la force d’ouvrir. Le résultat est univoque,
toujours : « Merci de m’avoir permis d’ouvrir cette porte sur moi-même !». D’une idée
qui veut au départ faire vivre l’envie ou le désir de vie en chacun de nous, nous arrivons
par ce retour à l’être désirant et exprimant ce désir, à révéler ce qui était jusqu’alors
caché à nous-même, que ce soit de manière volontaire ou non.
Au delà de la vie qui s’exprime dans ce projet, c’est surtout un témoignage de l’envie et
de l’humanité de chacun de nous, qu’on ne perd jamais tant que l’on est vivants, comme
le projet a pu nous le confirmer. Cela nous rappelle, à nous soignants, que l’humain reste
un être de désir, et que la croyance en la possibilité de ce désir nourrit la magie de la vie.
Comme un cri contre la résignation à poursuivre la vie ou son accompagnement, « Si
j’étais ton miroir » nous rappelle, si c’était nécessaire, que l’accompagnement palliatif est
un accompagnement de l’envie qui nous anime tous, et que notre travail est de
permettre de réunir les conditions qui rendent cette envie vraisemblable au minimum,
visible et palpable dans le meilleur des cas. Ce travail nous rapproche de ce qui est
essentiel lorsqu’on se rapproche de sa Yin de vie ou de sa mort : la vie et l’envie de vie.
Comme tout projet de création, « Si j’étais ton miroir » n’est probablement pas
reproductible partout ni par tout le monde, parce qu’il ne peut pas se passer d’une
participation importante d’humanité, de psychologie et de finesse d’analyse par sa
conceptrice. En cela, ce projet est unique, car porté par une femme qui vit pleinement et
avec passion l’idée en laquelle elle croit. Ce qui est dommage, car chaque service de soins
qui accompagne des personnes vulnérables ou fragilisées tirerait un réel bénéfice d’un
tel projet, tant au niveau de ses patients que de ses soignants. La suite logique du projet
Si j’étais ton miroir » sera donc de rendre possible la démocratisation de telles
démarches, partout en France.

Dr Julien Trautmann
Chef de service
Service de Soins Palliatifs
Hôpital de Givors